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SEPTFONDS

Un village du Bas-Quercy en Tarn-et-Garonne, ancienne bastide du XIIIème siècle.

Des vies, des histoires, un patrimoine riche... 

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Tarn et Garonne

Depuis le 01/01/2022

 

          

 

         

 

 

Conférence donnée dans le cadre des rendez-vous des Mémoires à Septfonds en Mai 2018, par Stéfania ZEZZA, professeur au Liceo Virgilio Rome, où elle enseigne le latin, le grec, l'italien, l'histoire et est le superviseur des conférences sur l'Holocauste et des projets d'enseignement. Diplômé au Master International en études sur l'Holocauste à l'Université Tre Roma, elle collabore avec elle.

Elle a suivi des cours de formation internationaux sur l'Holocauste au Mémorial de la Shoah et au musée d'Auschwitz-Birkenau. Elle donne des conférences sur ce sujet en Italie et à l'étranger (Wiener Library à Londres, HL Senteret Oslo). Ses publications les plus récentes comprennent: "Viktor Frankl: la recherche de sens". (Revue mensuelle d'Israël, Décembre 2014), "Primo Levi, Salonika" et d'autres "grandes questions grecques" ( "Trauma and Memory", 2014, vol 2 , numéro 2, http://www.eupsycho.com), "le miqwaot dans le ghetto de Varsovie" (de mensuelle d'Israël, 2015), "Trauma et mémoire" (Journal d'histoire contemporaine, 2015). Ses intérêts de recherche portent sur les relations entre les traumatismes, la mémoire, le témoignage et la langue. Ces dernières années, elle a mené en particulier des recherches sur la communauté juive de Thessalonique et, plus récemment, sur le sujet du traumatisme et de la mémoire. Elle a écrit plusieurs articles pour des publications italiennes et internationales et a participé en tant que conférencière à des conférences sur la Shoah en Italie et à l’étranger. Elle est actuellement engagée dans un projet de recherche sur les premiers témoignages oraux recueillis après la guerre.

 

 

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           Chaque histoire est un fragment d'histoire, difficile à trouver, à comprendre, à interpréter. Parfois les fragments sont cachés et seul le hasard ou la chance permet de les trouver et de les reconnaître. L' historien et le chercheur assemblent les fragments entre eux afin de créer l' image d' une histoire liée à d' autres histoires... et à l' histoire. Quand cela arrive, et, par hasard, qu' un fragment est trouvé, c' est un défi puisque l' histoire de la Shoah, qui a été planifiée et réalisée pour être oubliée et effacée des mémoires, est faite de fragments dispersés dans toute l' Europe.

 

          J’étais à Birkenau durant l’été  2016,  je suivais un cours pour chercheurs organisé par le Musée de Auschwitz. À côté des ruines des crématoires il y avait par terre une photocopie d'une vieille photo : une mère avec son enfant. Deux noms, une date: Septembre 1942. Il y avait des bougies et des pierres qui maintenaient le papier au sol. C’était un hommage à la mémoire de ces victimes des chambres à gaz déposé par quelqu’un en souvenir de ces personnes. Il s’agissait d’un signe prouvant que le but ultime recherché par les Nazis, la destruction aussi de la mémoire, avait échoué. Cette feuille est un symbole des principaux problèmes des études sur la Shoah, étant donné la nouveauté absolue et la spécificité  de l'événement.

 

          Les caractéristiques tragiques de la solution finale ont forcé l' humanité à affronter la nécessité d' un nouveau type d' approche historiques et de la méthodologie. Dans ce cas, il ne s' agit pas seulement de la catégorie habituelle de l' histoire, les questions éthiques jouent également leur rôle. La recherche et la préservation ont pris une nouvelle signification: c' est une bataille non pas seulement contre l' oubli causé par le temps, mais par la volonté des auteurs. Ça signifie que chaque activité liée à la recherche, à la préservation, à la mémoire apporte avec elle une responsabilité scientifique  mais aussi morale.

 

          Il faut en plus considérer un aspect crucial de la Shoah, qui a eu et a encore des effets. Quand on parle de Shoah, c’est très important de comprendre que derrière une apparente homogénéité se cache une extrême complexité. Même si  le projet d’anéantissement  avait été organisé en suivant des constantes (l’identification, la persécution juridique, l’isolement, la ghettoïsation, la déportation et l’extermination)  sa réalisation n’a pas été partout identique. Plusieurs éléments ont joué un rôle, et plus spécialement la chronologie et la géographie. C’est à dire que, par exemple, un camp comme Ravensbrück ou Auschwitz en 1942 n’était pas dans la même situation que celle dans laquelle il était  en 1944. Il y avait également des différences suivant qu’un juif vivait en France, en Italie, en Pologne ou en Ukraine. Les ghettos, par exemple, furent créés en Europe orientale, et c’est seulement dans des cas particuliers qu’il y a eu des ghettos nazis en Europe occidentale, où les Allemands établirent des camps de transit ou d’internement comme antichambres de la déportation vers les camps de concentration ou d’extermination. 

 

          C’est pour ça que dans mon travail de recherche je me suis concentré sur les témoignages, écrits et oraux, qui permettent de compléter les documents avec la perspective individuelle des victimes, et d’identifier aussi la dynamique des évènements. Aussi les photos sont des témoignages cruciaux. En fait, elles  redonnent un visage et une identité à des hommes et des femmes qui souvent ont été représentés seulement par des numéros. En plus, elles  constituent des documents sur la vie des Juifs  avant la Solution Finale et peuvent évoquer des trajets, des liens qui emmènent à découvrir des histoires à propos des lieux et des gens qui ont été oubliés où peu connus. C’est le cas de la photo dont  j’ai parlé précédemment, qui m’a emmené ici à parler avec vous de la Shoah.

 

          Je n'avais pas vu cette photo  quand j'étais à Birkenau. Je l'ai remarqué plus tard, car un de mes collègues en a pris une photo et me l’a transmise. Il y avait deux noms écrits dessus: Ella et Henry Alexander Grau (Wagenberg). Il y avait aussi  une date: Septembre 1942. J’ai commencé ma recherche à ce moment là. Qui étaient Ella et Henry ? D'où avaient-ils été expulsés ? Au mois de septembre 1942, 14 convois  ont quitté la France, numérotés de 25 à 38, et arrivèrent à Auschwitz Birkenau: 13 au départ de Drancy et un de Pithiviers.

 

          Arrivés à destination, les déportés étaient déchargés sur la rampe du train de marchandises, à environ 2,5 km des bunkers 1 et 2. Ces bunkers, appelés «la petite maison rouge» et «la petite maison blanche» étaient des chambres à gaz installées dans des fermes, entourées de bois.

Bunker 1 a commencé à fonctionner au début du printemps 1942. Bunker 2 en juillet 1942, après la visite de Himmler au camp les 17 et 18 juillet 1942. Ce sont les endroits où les déportés ont été assassinés. Il est impossible de déterminer exactement dans quel bunker Henry Alexander Grau, Ella sa mère, et le reste de leur convoi ont été tués. Ils étaient deux parmi les  8 622 Juifs de France tués à Birkenau en septembre 1942 et parmi les centaines de milliers de personnes assassinées. La recherche et la préservation de leur destin sont de  notre responsabilité. C'est sur cela que travaillent Yad Vashem, le musée de l'Holocauste à Washington, Le Mémorial de la Shoah à Paris, à travers des projets visant à redonner des noms et des visages à des hommes, des femmes et des enfants réduits à un numéro. Parfois, l'information qu’on arrive  à découvrir est fragmentée: c’est à partir de différentes sources que les histoires individuelles peuvent être reconstruites. Dans le cas de la famille Grau, le destin individuel représente aussi un destin collectif, lié à l’histoire des réfugiés allemands en Belgique et en France, à Vichy et aux camps d’internement dans la zone libre, dans ce cas : Septfonds, et surtout symboliquement à la dimension européenne de la déportation pendant la Shoah.

 

          Sur la base de données de noms de Yad Vashem, Ella et Alexander ont été mentionnés par la sœur d'Ella qui a rempli le formulaire de témoignage pour eux. Ella Wagenberg était née à Kolomea, en Pologne, le 2 décembre 1908. Elle a épousé Simon Grau, né à Leipzig le 27 Janvier  1907. Leur première résidence a été Berlin. Puis ils ont fui en Belgique et se sont installés à Bruxelles, comme beaucoup d'autres Juifs  allemands et autrichiens dans les années trente. Leur fils, Henry Alexander, est né là. La photo laissée à Birkenau doit dater de 1941, puisque l'enfant est né le 18 mars 1940 à Bruxelles. Simon Grau, son père, fut déporté de Belgique au camp de Saint-Cyprien en mai 1940. Après l'invasion de la Belgique par les Allemands, le 10 mai 1940, de nombreux réfugiés juifs d'Allemagne et d'Autriche furent envoyés de Belgique en France avec les autres Allemands et autrichiens qui étaient là: ils étaient considérés comme un danger, sans distinction entre juifs et non juifs. C’est l’administration belge qui a préparé et organisé l’arrestation et la déportation des ressortissants ennemis étrangers. Ainsi  en octobre 1938 il y avait déjà  eu l’expulsion de 150 Juifs allemands vers leur pays : l’Allemagne. Robert de Foy, directeur de la Sûreté de l’Etat Belge, et Joseph Pholien, ministre de la Justice jusqu’ à février 1939 et responsable de la politique de migration, entendaient mener une politique de “porte fermée” à l’égard des réfugiés juifs. Cet incident suscita une crise politique. Tous les réfugiés juifs qui s’étaient frayé un passage sur le territoire belge, de façon légale ou illégale, et qui étaient soutenus par le comité de réfugiés juifs, furent à nouveau protégés temporairement. Pendant les arrestations du 10 Mai, la police belge a ordonné aux réfugiés de prendre de la nourriture pour 48 heures. Ceux qui furent arrêtés dans la rue eurent la chance d'aller à leur appartement pour prendre de la nourriture ou des effets personnels, qui leurs furent d’ ailleurs progressivement confisqués au cours des 18 jours de leur voyage.

 

 A propos de ça on peut lire: 

 

          “En effet, de Belgique ont été ́envoyés en France 13 500 internés civils allemands, 7 500 sont arrivés au camp de Saint-Cyprien, environ 1 000 étaient des "Reich deutsche". Les délégués du CICR ont mis les internés civils au courant de la situation et leur ont demandé de patienter jusqu'à leur rapatriement. »  (Rapport du docteur Junod, délégué du CICR sur les visites des camps en France du 17 au 25 juin 1940, 5 juillet 1940, AN F9 5578.) En fait selon la recherche de Sabine Maurier, 94 % de l’échantillon d’internés juifs du Reich analysé  passèrent par Saint- Cyprien.

La majorité d’entre eux  vécurent une vraie Odyssée en passant de camp en camp jusqu’à leur déportation de Drancy en 1942. L’histoire de Simon Grau et celle de sa famille sont symbolique d’un destin commun à un grand nombre de  personnes. Les camps dans le sud de la France sont devenus en fait des antichambres d’Auschwitz.

D’une récente recherche on peut comprendre que  les prisonniers qui venaient de Belgique  avant d’arriver à Saint Cyprien passèrent par Tournai,  Sainte Livrade et Villemur.

 

          Le camp de Saint Cyprien avait été établi en 1939 pour héberger les réfugiés espagnols, mais après il devint un camp pour les ressortissants ennemis. La commission Kundt, passant par St Cyprien à la fin de juillet 1940, compta les internés par nationalité; il y avait un total de 5065 personnes avec une majorité d'Allemands (2675) et Autrichiens (989) qui avaient été expulsé de Belgique. Le  camp a  fonctionné  jusqu'à Octobre 1940, puis il fut fermé pour des raisons sanitaires après une inondation et ses détenus furent déplacés à Gurs. En fait, les réfugiés vivaient dans des tentes, les quelques baraques n'accueillaient que des malades. Les témoignages sur le camp confirment la gravité de la situation sanitaire et les terribles conditions de vie.   

   

          Simon Grau a été à Saint Cyprien  pendant quelques mois; il fut un des internés qui, entre le 29 et le 31 Octobre, furent envoyés à Gurs en passant par Argelès. Il y a une liste qui atteste de ce passage. Dans le même mois d’Octobre le gouvernement de Vichy adopta le Statut des Juifs, et le 18 octobre il adopte également la loi sur les ressortissants étrangers de race juive.

 

Source : Journal officiel 

  

          Pour tous ceux qui avaient pris le parti de trouver en France un refuge, il représente un danger imminent d’internement ou d’assignation à résidence. Les articles 1 et 3 précisent :

 

Art. 1. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, à dater  de la promulgation de la présente loi, être internés dans des camps spéciaux par décision du préfet du département de leur résidence.

Art. 3. Les ressortissants étrangers de race juive pourront, en tout temps, se voir assigner une résidence forcée par le préfet du département de leur résidence.

Le 20 octobre, le ministère de l'Intérieur publie une note détaillée sur le fonctionnement des "camps d'étrangers" situés en zone non-occupée. Entre les six camps il y avait

Gurs, camp "semi-répressif",  Argelès et Saint-Cyprien (Pyrénées-Orientales), "camps d'hébergement".

 

          À ce propos Hanna Arendt, la philosophe qui a travaillé toute sa vie sur le totalitarisme et  qui connut le camp d'internement de Gurs, écrit  "engendré un nouveau type d'êtres humains : ceux qui ont été envoyés dans les camps de concentration par leurs ennemis et dans les camps d'internement par leurs amis" (1).

 

          Le destin de Hanna Arendt, réfugiée en France à partir de 1933 et internée au camp de Gurs comme ennemie étrangère en Mai 1940, fut toutefois différent. Après l' armistice du 22 juin 1940, elle fut libérée dans la confusion du moment, s' enfuit à Montauban d' où elle est partie avec son mari. Ils trouvèrent asile aux Etats-Unis. Les internés aryens furent aussi libérés.

 

(1) "Nous autres réfugiés" "1943) par Hannah Arendt, page 60 de La Tradition cachée, éd. Christian Bourgeois, 1987. 

 


 

"Fragments de mémoire"
par Stéfania Zezza - mai 2018.